The Perfume Chronicles

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Paredolia II - Mellifluence Parfums

Paredolia II

par et pour Mellifluence Perfumes


Certains parfums nous rappellent des moments à vivre. D’autres nous rappellent des moments vécus. Paredolia II a été pour nous une expérience incomparable en ce qu’il nous a donné de sentir un moment que nous n’avons pas vécu nous-même mais seulement à travers le personnage d’un roman sur lequel nous travaillons. Ainsi, et alors que nos yeux se sont trouvés baignés de larmes, nous avons compris qu’il valait mieux laisser ce personnage parler par lui-même. Pour Paredolia II…


« Tu sus que Phostia était proche avant même d'ouvrir les yeux. A vue de ses côtes, l'air charrie de nouveaux parfums, le soleil se dilue en une multitude de fragrances oscillant entre le labdanum et le safran, en passant par l'odeur caractéristique des pinèdes et des vergers de pruniers, de lentisques et d'oliviers. La terre rougie par la chaleur refroidit ses émanations au contact des embruns, lui prêtant ses notes de silex, de cuir et de foin froissé. Avachi sur ta banquette, collé au bastingage de bois verni, il te semblait pouvoir entendre les clochettes des encensoirs du Temple et respirer l’odeur âcre des lampes à huile, celle indescriptible des cierges venant s'éteindre dans le silence de la contemplation et celle qui embuait ta vie, tes rêves et tes nuits.

 

Celle de l'encens qui se répandait en fumerolles sensuelles sous chacune des voûtes du Temple et du Palais, ces panaches opulents qui se nichaient dans les barbes des prêtres et les plis de leurs habits, ces relents secrets de rose, de jasmin, de nard et de lavande et l’arôme capiteux de la cannelle alourdissant l’air, sans compter les bouffées d'oliban vert, de myrrhe et d’ambre du bazar qui faisaient partie de toi, enfumant ta mémoire pour qu'elle ne s'échappe jamais de Phostia.

 

Quelque part, entre les tours vertigineuses de la ville haute, il existe un jardin caché où les grappes de lilas s'accrochent aux troncs des orangers - un lieu arraché à tous les soucis du monde, bloqué entre ciel et mer, où le rêve cohabite avec une création sans souillure. Il te souvenait de son bassin et de son eau fraîche, de ses fontaines et de ses arches couvertes de mosaïques roses et bleues, de l'alignement parfait des bougainvillées en fleur et de ses tapis de roses épicées que l'aiguail ne quittait pas.

Il te tardait de retrouver les pavés blancs du port, les jardins suspendus du Palais et leur silence réparateur ; d'arpenter à nouveau les venelles pentues du quartier des forges et de longer l'Arsenal en t'imprégnant de ses vapeurs boisées, iodées, cuirées.

 

Déambuler dans les ruelles à l’ombre des villas de patrices, de marchands, de banquiers ; enjamber les anciens canaux et traverser les enfilades d’échoppes toujours animées et retrouver la musique de Phostia, son accent, ses sons, le bruit de son quotidien typique entre nonchalance et désir de vie, entre vie et sommeil, entre sommeil et rêve, entre rêve et trépas. Derrière les façades bleues des temples, dans le secret de leurs patios, les cadavres se retirent du monde, enveloppés dans leurs linceuls de flammes et tandis que les hiérarques se lamentent, les vivants eux se réjouissaient à leur place pour combler le manque, redoublant de rires, de beuveries, de festins jusqu’à en perdre le souffle, le rythme, la voix.


Cette atmosphère de fête lui valait d’être appelée « la Riante », sa légèreté contrastant avec ses tours monumentales et leurs coupoles outrancières. A l’ombre des hautes murailles, le badaud se prélasse et goûte les secondes et les minutes jusqu’au soir à la fraîcheur duquel il va s’encanailler avec les demoiselles du port ou les damoiseaux des hauts.

 

Et là, entre ces rigoles d’allégresse, entre ces rues noyées de hurlements divers s’élèvent des poches de silence pur – cloîtres inviolés, monastères, hospices et collèges où vivaient, reclus, des catégories d’hommes et de femmes entièrement dévoués à leurs vocations super-naturelles. Les veuves tissent silencieusement à la lumière du jour filtrée par des baies monumentales ; les alchymistes devisent dans l’ombre de leurs souterrains ; les religieux veillent, l’œil rivé sur les toits de la cité, du haut de leurs monastères accrochés aux parois des collines tels des ruches.

 

Phostia n’était pas seulement une ville marchande, elle était la capitale d’un pays fantôme, momifié dans chacune de ses arches, de ses tours, de ses temples et de ses monuments. Elle était ta maison, celle qui t’avait vu naître dans la clandestinité. Elle était ta femme, celle qui t’avait consolé lorsque tes nuits étaient agitées. Elle était ta mère, qui t’avait nourri de son sein. Elle était ta maîtresse, qui occupait tes songes et empestait tes pensées. Elle était ta sœur, que tu avais maltraitée. Ta fille, que tu allais protéger. Oh, chaque phocéen avait une histoire à partager au sujet de cette cité. Pas un qui n’ait eu de relation avec elle. Cette enclave de liberté dans un royaume esclave de mœurs hypocrites déchaînait les passions des hommes, hypnotisés par ses courbes sensuelles et ses yeux plus scintillants que des joyaux.

Ses longs bras d’albâtre s’enserraient autour du port de Turque comme pour t’embrasser et toi, petit enfant soumis aux fluides qui s’excitaient dans ton corps, tu te laissais faire. Subrepticement, elle t’avait eu, toi l’enfant terrible du palais d’Esmer, avec les mêmes charmes qu’aux premiers jours. Elle t’invitait, luxuriante et toi, tu n’opposais aucune résistance. Peu à peu, les fragrances spectrales de myrte, de nard et de curcuma envahissaient tes narines et tes poumons – tu ne pouvais plus respirer, tu te noyais dans ce débordement de vice, la salive te montant à la bouche. Tu savourais ton retour, tu savourais ses étreintes de jeune éperdue, tu savourais ses gâteries et toutes les surprises qu’elle t’avait réservées. Tu n’avais pas besoin de les voir pour savoir ce qu’elles étaient. Phostia, tu la connaissais.

 

Les yeux encore fermés, les pores de tout ton corps ouverts tu flottais. Le vent titillait le lobe de tes oreilles et les mèches de tes cheveux, le Soleil léchait doucement tes pommettes et ton front. Ce moment, aucune douleur, aucune goutte de sang, aucune guerre, aucun ennemi ; aucun trouble aucune mort imminente, aucune femme, aucun homme ; aucune couronne, aucun sceptre ; aucune richesse, aucune ruine ; aucun châtiment ; rien, rien, rien, pas même les Dieux ne t’auraient volé ce moment.

Tu le savourais avec chacune de tes papilles, avec chacun de tes poils hérissés sur tes bras, avec chaque parcelle de ton corps jusque tes cils vrillant sous la chaude brise venue du Sud. La clameur des négociants et des galériens et de ton peuple en liesse se fondait dans le chant des mouettes et des goélands, dans celui des marins abreuvés de litanies à la Mer-Mère.

Jusqu’au plus profond de ta moelle, tu t’enivrais de la pulsation invisible de cette cité rayonnante.

 

Quand vint le temps de descendre. Et de rouvrir les yeux…

 Voilà Paredolia II.

 

Dans la ville

Éveillé.

Je t’entends.